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  • Written by Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des Bernardins
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Depuis la Révolution française, il existe en France une sorte de consensus au sein des élites dirigeantes pour considérer la conviction religieuse comme appartenant au domaine de l’opinion, et non pas à celui de la rationalité.

Une place à part dans l’université républicaine

Ce consensus a été largement intégré par la communauté chrétienne qui a fini par se convaincre, au XIXe siècle, que la foi se consacre à répondre aux questions essentielles, dites métaphysiques, sans être en mesure de leur apporter des explications rationnelles. De plus, comme l’a révélé la crise moderniste, la vérité ne pouvait avoir comme ultime sanction que celle du magistère romain.

Il faut ajouter à cet état de fait une lutte, autant politique qu’académique, jusqu’au début des années 1870, entre le Vatican et la République sur la question des modalités de reconnaissance des diplômes de théologie délivrés par la Sorbonne. Celle-ci aboutit à l’éviction de la théologie de la Sorbonne, et à la création, en 1886, de la Ve section de sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études, hors de tout contrôle et donc de toute participation de l’Église.

C’est ainsi que les notions d’âme, d’esprit ou d’hypostase, qui ont pourtant marqué des siècles de recherches savantes de Platon à Thomas d’Aquin et René Descartes, furent, au mieux, prises en charge par les philosophes et, au pire, reléguées dans le domaine du paranormal. La loi de 1905, qui sépara l’État et les religions, consacra cette opinion selon laquelle la foi devait relever exclusivement de la sphère subjective tandis que l’État était seul en mesure de se hisser au niveau de la vérité objective.

La théologie, base de l’université médiévale

La théologie a pourtant constitué la matrice de l’Université née en France entre 1200 et 1231 sur la base de la faculté de Notre Dame à Paris par la volonté des scholares parisiens, du roi Philippe Auguste et des papes Innocent III et Grégoire IX. Les statuts de l’Université de Paris, promulgués en 1215, ont permis la création de 4 facultés (Arts, Théologie, Médecine, Droit canon).

La théologie se situait au sommet d’une organisation du savoir intégrant les arts du langage (trivium) et du calcul (quadrivium). L’originalité de cette épistémologie était qu’elle n’était fondée ni sur le seul concept, comme ce fut le cas à partir du XVIIIe siècle, ni sur la seule communication, qui permet l’art du consensus, mais sur le symbole, en tant qu’il est capable d’associer de façon cohérente, expérimentable et sensée, le référent, le signifiant et le signifié.

En continuation avec la pensée antique, qui savait lier les vérités célestes aux vérités terrestres, la pensée scolastique sut s’affranchir cependant de la seule référence aux autorités du passé pour mieux répondre aux nouveaux questionnements de son temps. Dans cette conception de la connaissance, la proximité entre les enseignants et les apprenants, fondatrice de l’universitas magistrorum et scholiarum était essentielle car, à l’image des relations entre le Christ et son Père, mais aussi entre le Christ et ses disciples, la vérité ne pouvait être objectivée de façon servile, ni être subjectivée de façon dominatrice.

Elle ne pouvait se faire jour de façon sapientielle qu’à travers les liens de l’amitié selon les paroles mêmes du Christ. « Je vous appelle amis car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15,15).

Vers une intégration des universités catholiques

Le XXIe siècle pourrait bien changer la donne à la conception moderne de la théologie. Premièrement parce que, en France, les universités catholiques disposent d’un succès grandissant et qu’elles ont su s’intégrer dans le système européen, dit de Bologne, de reconnaissance des diplômes.

Les universités catholiques, mais aussi les universités britanniques, étroitement liées à l’Église anglicane et qui possèdent également des facultés de théologie, disposent d’une excellente réputation dans le monde. Avec la mondialisation croissante des échanges de savoir, la situation française de non-reconnaissance de la théologie apparaît de plus en plus anachronique. Du reste, l’État français a fait en 2008 un premier pas en acceptant, certes avec encore beaucoup de précautions, la reconnaissance des niveaux de diplômes accordés par les instituts catholiques pour ses formations canoniques (théologie, philosophie, droit canonique et sciences sociales).

Mais surtout l’exemple des universités concordataires de Strasbourg et de Nancy montre qu’il est devenu possible, pour l’État républicain et pour les Églises, de s’entendre sur un enseignement de haut niveau de la théologie qui soit respectueux des traditions, des épistémologies et des hiérarchies ecclésiales.

Une conception moderne de la théologie

Ensuite, la critique de Martin Heidegger à l’égard de l’épistémologie médiévale a été globalement intégrée par la théologie chrétienne contemporaine. Au point que, du père Henri de Lubac à Charles Taylor, s’est produit un renouvellement en profondeur de la pensée théologique et philosophique chrétienne.

La publication en 1973 du livre de Marie-Joseph Le Guillou, Le Mystère du Père a été saluée comme une redécouverte en profondeur de toute l’histoire de la théologie à partir de la prise de conscience d’une déviation, à partir de Jean Duns Scot (1266-1308), de la compréhension orthodoxe de l’unicité de la personne divine. L’ouvrage de Jean Borella, La crise du symbolisme religieux, publié en 1990 et réédité en 2009, a ouvert de nouvelles perspectives aux philosophes conscients des limites de la pensée phénoménologique.

Grâce aux rapprochements œcuméniques et aux dialogues interreligieux, de plus en plus de théologiens sont aujourd’hui en mesure de sortir de leur pré carré et renouent un dialogue avec les disciplines scientifiques (François Euvé), la science politique (John Milbank), ou les arts (Olivier Boulnois).

Enfin, de plus en plus d’universitaires commencent à se sentir à l’étroit dans une vision purement positiviste des faits religieux voire, plus généralement, dans une vision quasi religieuse de la raison. Jean‑Paul Willaime, directeur d’études à l’EPHE, a montré comment le point de vue croyant doit être intégré. Le philosophe Jean Marc Ferry redécouvre dans un essai récent « La raison et la foi », que la foi est une source puissante d’intelligibilité du monde pourvu qu’on veuille bien ne pas la mettre en opposition systématique avec la raison. En effet, selon Husserl, la foi comme la raison disposent d’une source commune, à savoir la confiance.

De son côté Philippe Meirieu, professeur des universités en sciences de l’éducation, plaide le fait qu’on ne peut pas distinguer de façon étanche le savoir et le croire comme on l’a fait pendant des décennies. Même s’il continue à considérer que « les croyances relèvent de la sphère privée », la montée des radicalisations en France le conduit à estimer qu’on ne peut plus continuer à poser une chape de plomb sur les convictions religieuses dans l’école de la République.

« L’accès aux connaissances scientifiques ne permet pas systématiquement d’échapper à la radicalisation et au fanatisme dont Edgar Morin a bien décrit les composantes : la réduction du monde et de l’autre à ce que l’on en décide, le manichéisme qui rejette toute altérité dans le “mal absolu”, et la réification qui enkyste le sujet dans une vision totalisante dont l’emprise est telle qu’elle peut lui faire commettre les pires exactions. »

Cette prise de conscience devrait favoriser la création, demandée par un grand nombre d’experts comme Claude Thélot, d’une éducation à la culture éthique et religieuse à l’école et d’une formation des maîtres réalisée en coopération avec des universitaires et des responsables de culte.

Elle justifie aussi le lancement d’une nouvelle chronique pour Theconversation.com sur « La foi et les faits » !

Authors: Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des Bernardins

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